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Le fantôme de la microcéphalie

La microcéphalie est une affection plutôt rare, mais au Brésil plus de mille cas ont été enregistrés par les autorités locales depuis le début de l’épidémie de Zika, en 2015, qui a déjà recencé environ 1,5 million de cas, selon les estimations. Même avant la confirmation d’une association entre les deux, le fantôme de la microcéphalie rôdait déjà les femmes enceintes de tout le pays. Eroneide Carvalho et Thaís Battistot appartiennent à deux familles touchées par le Zika et par la microcéphalie, dans deux régions différentes du Brésil, avant même que les médias aient commencé à en parler. Elles racontent ici leurs luttes pour que leurs enfants puissent se développer, être heureux et grandir de façon indépendante.

Eroneide Carvalho
et la petite Clarice, de 4 mois

Photo: Samuel Macedo/Cariri Revista

Sérénité. C’est ce qu’on ressent quand on parle à Eron, comme elle préfère être appelée. Elle est la mère de la petite Clarice, de 4 mois, atteinte par la microcéphalie. L’opticienne qui habite à Juazeiro do Norte, dans la province du Ceará, au nord-est du Brésil, région qui enregistre le plus grand nombre de cas de microcéphalie dans le pays, a 35 ans et deux autres fils, deux garçons, de 15 et de 19 ans, d’une relation antérieure. Eron a eu le diagnostic de sa petite pendant la 27e semaine de grossesse.

 

Tout allait bien, lorsqu’une échographie ultrasonore ordinaire à la 22e semaine a indiqué une altération dans le cerveau de Clarice, qui faisait de la rétention d’eau et qui agrandissait un peu la tête du bébé. Il fallait alors accompagner plus de près la grossesse. Un mois plus tard, lors de l’examen suivant : le problème s’était normalisé et la tête de l’enfant « était même petite », a dit le médecin qui a réalisé l'échographie. Le résultat officiel, par contre, ne serait prêt que le jour suivant. Les parents ont annoncé à la famille que bebé allait bien. Le résultat n'a pas été divulgué avant la prochaine consultation, le mois suivant.

 

Deux jours plus tard, en écoutant le téléjournal du soir et la nouvelle sur l’augmentation des cas de microcéphalie, Eron se souvient avoir vu ce mot sur le résultat de l’examen de son bébé. Désespérée, elle appelle l’obstétricienne qui lui a expliqué le problème et qu’il y a avait de liens possibles avec le virus Zika – qu’elle avait contracté à la 10ème semaine de grossesse, mais qui à l’époque n’était pas encore associée à la microcéphalie –, et lui a conseillé de voir un neurologue.

 

« C’était très angoissant. C’était très difficile de faire confiance aux médecins, aux équipements utilisés. On dirait qu’ils ne savaient pas vraiment de quoi ils parlaient et avec quoi ils avaient à faire. C’était Clarice, encore dans mon ventre, qui me maintenait tranquille. Quand elle bougeait, et elle bougeait beaucoup, je savais que tout était bien ».

 

Selon la pédiatre Lilianny Medeiros Pereira, qui supervise une équipe de thérapeutes qui utilisent la méthode Padovan au Ceará, pendant les deux premières années de vie le cerveau a une plus grande neuroplasticité. C'est-à-dire qu'à ce moment il est possible de restaurer des circuits neurologiques affectés, ce qui va contribuer à la récupération de développement neurologique des enfants. Le traitement consiste à une stimulation précoce chez les nourrissons, avec d’excellents résultats dans la province du Ceará. Sur la vidéo, Clarice est stimulée par la thérapeute Samara Salles.

Au septième mois de grossesse, Clarice ne prenait plus de poids et son périmètre crânien mesurait 23 cm. Les médecins ne pouvaient même pas garantir qu’elle allait survivre. Au huitième mois, il n’était plus prudent d’attendre, et elle est née par une césarienne avec 26 cm de périmètre crânien. Contrairement à ce quoi les médecins s’attendaient-ils, 24 heures après la famille a pu amener leur bébé à la maison.

 

« À part la taille de la tête, Clarice ne semblait avoir aucune séquelle, comme les spasmes qui sont souvent rapportés par les parents d’enfants avec microcéphalie. Avant même de sortir de la maternité, le médecin nous a recommandé une méthode spéciale – la méthode Padovan, supervisée par une pédiatre et néonatologiste de la province –, qui propose depuis très tôt des exercices de reprogrammation neuro-fonctionnelle du cerveau, avec des résultats très importants pour le développement des enfants atteints par la microcéphalie »

 

Il s’agit, cependant, d’un traitement très cher pour le contexte brésilien, qui n’est pas offert par le système public de santé, et qui coûte environ 300 dollars canadiens par mois. L’assurance maladie a refusé de payer, mais les parents sont allés en justice et maintenant le paiement est fait par l’assurance.

 

« Clarice fait aussi de la physiothérapie et de l’orthophonie. En l’observant, pour l’instant, il me semble qu’elle se développe normalement. Si je la compare à mes garçons au même âge, je trouve qu’elle est plutôt précoce », dit Eron, pleine d’espoir.

 

Pour le père de Clarice, cela a été un peu plus dur, il ne voulait pas croire à ce qui se passait avec sa première fille. Eron raconte que pendant une semaine il n’était pas capable de toucher son bébé. Au début, il ne voulait pas publier les photos de sa petite sur Facebook, il avait peur du regard des autres. Puis rapidement il a compris que ces attitudes, au contraire, ne faisaient que renforcer les préjugés. Maintenant, c’est lui qui parle aux autres hommes qui se voient dans la même situation, afin de les aider à surmonter la peur et à leur donner un peu d’espoir. Dans la région, plusieurs hommes ont abandonné leurs familles après la naissance des petits avec microcéphalie. Le couple organise un congrès en ligne, en mai, dans le but de mieux informer les familles et les professionnels qui travaillent avec ces enfants, de façon a aider leurs développement.

Photo: Album de famille

Thaís Battistot
et sa Manu, un an

Derrière la voix et le rire d’enfant de Thaís Battistot, de 25 ans, se bâtit la force d’une mère qui a quitté son travail au retour du congé de maternité pour prendre en charge le traitement de sa petite Emmanuelle (ou Manu), d'un an, qui souffre de microcéphalie. Dans le calme face au bouleversement qu’un tel diagnostic peut provoquer, son énergie transborde. Par un groupe sur Facebook, un autre sur Whatsapp et un canal sur YouTube, cette femme encourage plusieurs familles qui ont elles aussi un enfant avec microcéphalie à lutter contre les préjugés, en partageant ses expériences avec Manu et les victoires de sa petite.

 

Thaís a su ce que c’était la microcéphalie récemment, lorsque Manu avait déjà sept mois. L’histoire remonte à une grossesse tranquille, à Campo Grande, au Mato Grosso do Sul, au Centre-Ouest du Brésil. Après le diagnostic, médecin et patiente se sont rendus compte que ce qu’ils pensaient être une allergie à la fin du premier trimestre de grossesse, était, en effet, le Zika. Mais, en septembre 2014, la maladie transmise par le moustique de la famille de l’Aedes aegypti n’était pas encore connue au Brésil.

« À cette époque, on a cru qu’il s’agissait d’une allergie. J’avais des petits points rouges qui grattaient sur le ventre. J’ai changé la crème hydratante et deux semaines plus tard je ne sentais plus rien. On ne parlait pas encore du Zika ».

Le reste de la grossesse s’est bien passé et lorsque Manu est née, en mars 2015, son périmètre crânien mesurait 30 cm. Une précision : au Brésil, avant l’épidémie de microcéphalie, la norme était de 33 cm minimum de périmètre crânien. Ensuite, la mesure a été réduite à 32 cm, et finalement, depuis mars 2016, le pays a adopté la norme de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), soit d’un minimum de 31,9 cm pour les garçons, et de 31,5 cm pour les filles. Dans le cas de Manu, même en étant en dessous de la norme de l’époque, comme elle était un bébé assez petit, les parents n’ont reçu aucune mesure extraordinaire. Tout a été considéré dans les normes.  

 

Ce ne fut qu’après, en observant son développement que Thaís s’est rendu compte que quelque chose n'allait pas bien. Avec quatre mois, le bébé ne prenait pas les jouets dans ses mains et ne commençait pas à se tenir assis. Comme mère pour la première fois, elle ne savait pas si c’était trop tôt pour cela, et n’a rien dit au pédiatre, qui n’a rien noté non plus.

Photo: Album de famille

La petite Manu et son père Bruno 

« C’est mon premier enfant. Je ne savais pas quel devrait être son développement à cette époque. J’ai cru que c’était peut-être encore trop tôt ou que chaque enfant à son temps et qu’elle prenait le sien. Mais avec sept mois, elle n’avait toujours pas progressé. On nous dit de ne pas comparer les enfants, mais les autres bébés de son âge faisaient plein de choses qu’elle ne faisait pas. C’est là que j’ai parlé au médecin qui m’a conseillé de voir un neurologue ».

 

Rien qu’en regardant l’enfant la neurologue a suspecté de microcéphalie. Des examens ont été réalisés et le résultat confirmait : le côté droit du cerveau travaille plus lentement. Le médecin, cependant, n’a pas voulu donner plus de détails et a renvoyé la famille voir le pédiatre pour plus d’explications. Impatients de savoir ce qui se passait avec leur premier enfant, Thaís et Bruno ont appelé le pédiatre, qui les a reçus à la maison et tout expliqués.

 

« On ne pouvait pas attendre une prochaine consultation. On voulait savoir tout de suite ce que c’était la microcéphalie. Le pédiatre nous a reçus chez lui, le même jour. Il nous a tout expliqué et nous a dit que dans une échelle de 1 à 10, le cas de Manu est au niveau 1. C’est-à-dire qu’elle a un développement plus lent, mais on a espoir qu’elle va y arriver. De toute façon la nouvelle nous a fait beaucoup souffrir ».

 

Thaís a pleuré quelques jours et Bruno ne voulait pas croire au diagnostic : il était probablement faux. Deux semaines plus tard, les téléjournaux commençaient à parler d’une hausse anormale de cas de microcéphalie qui serait liée à l’épidémie de Zika.

« La microcéphalie a envahi les journaux et c’était l’horreur! Je me désespérais chaque jour. Et là on a fait le lien avec l’allergie que je pensais avoir eue au début de la grossesse, qui en fait c’était le Zika. C’est là aussi que je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Manu dépendait de nous pour que son problème ne s’aggrave pas ».

 

Thaís et Bruno ont commencé alors les mouvements pour la récupération de Manu. Le gouvernement assure les coûts du traitement pour les enfants avec microcéphalie, mais cela prend du temps, car il y a une liste d'attente, et manu avait été diagnostiqué trop tard. Elle ne pouvait pas attendre dans une queue. La mère de Bruno lui a fait une assurance maladie privée et la petite a tout de suite commencé à faire de la physiothérapie, de l’ergothérapie et de l’orthophonie. Programme intense.

Manu à l’ergothérapie : la vidéo montre certains exercices pour stimuler le contrôle du cou, des mains et des bras. 

Pour accompagner son bébé, Thaís a du quitté son travail comme technicienne comptable après le retour du congé maternité : « C’était impossible de concilier les horaires avec l’agenda de Manu », dit-elle. Bruno, qui travaillait dans un magasin, a perdu son emploi. Il était souvent en retard parce qu’il conduisait sa femme – qui ne conduit pas – et sa fille chez les médecins. Il cherche toujours un travail et pendant ce temps-là, il aide sa femme qui, elle, a découvert un nouveau talent, la photographie, et commence déjà à faire ses premiers travaux rémunérés.

 

Le couple a décidé également d’aider d’autres familles qui se trouvent dans la même situation qu’eux. Ils ont créé un groupe sur Facebook pour raconter les progrès de Manu et pour montrer que ce n’était pas la fin du monde – le nom du groupe c’est « La microcéphalie n’est pas la fin » (en portugais : Microcefalia não é o fim). En peu de temps, le groupe comptait 245 personnes, surtout des amis et la famille qui voulaient avoir des nouvelles de Manu. Thaís a été invité à parler de son histoire dans une émission de télévision au Brésil et le lendemain plus de mille personnes s’étaient abonnées au groupe. Après ça, elle a créé un groupe pour les mères sur Whatsapp et un canal sur YouTube où elle montre un peu les traitements et les stimulations que’elle fait avec son bébé.

 

« L’objectif principal c’est de parler à d’autres mères qui sont en train de passer par les mêmes peurs et préoccupations qu’on a passé et on passe toujours. C’est de leur dire qu’elles ne sont pas seules et qu’il y a de l’espoir, que la microcéphalie n’est pas la fin du monde ».   

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